Né le 1er avril 1971, François Olègue est poète, essayiste et traducteur multilingue.
Il habite au Brésil et écrit autant en français qu’en portugais. Sa personnalité cosmopolite se révèle dans ses tentatives de réconcilier les traditions littéraires de l’Amérique latine avec celles du monde francophone. Les textes qui suivent sont extraits de ses recueils poétiques Sonnets de Polyphème, Journal de la fin des âges et Carnets tropicaux, tous en attente de leurs éditeurs. |
Un monde à créer
Quand le cadran de mon horloge à quartz exhibe, à minuit précis, quatre zéros fatidiques – ceux du temps, de l’espace, de l’instinct et de la volonté –, je me vois un démiurge qui s’apprête à construire un nouvel univers. D’innombrables idées, fantaisies et spéculations s’agglomèrent et se concurrencent, une minute durant, dans mon crâne. L’illusion qu’elles produisent est assez utopique pour qu’un défenseur de l’ordre normal des choses s’en fâche rouge !
Il n’y aurait pas d’esclaves dans ma création, ni de faux amis, ni d’enfants affamés. L’usurier, le médecin et le prêtre y perdraient leur prestige. Bien des professeurs se trouveraient, eux aussi, sans emploi : les bonnes choses seraient enseignées par la nature même, et les mauvaises choses n’auraient pas besoin d’être apprises. L’idéologie se changerait en compréhension, les lois sortiraient de scène, et la naïveté deviendrait l’unique force motrice de la société. Du reste, la société proprement dite, soit un mécanisme programmé pour l’oppression, cesserait d’exister. Les notions de race, d’ethnie et de statut social s’estomperaient. Au lieu de la guerre, les humains feraient l’amour à toute heure de leur vie et de toutes les façons possibles, comme dans cette vidéo de Kylie Minogue où des centaines de corps mi-nus forment une immense Babel amoureuse, et personne ne les accuserait de débauche, puisque l’hypocrisie serait également hors d’usage. Des pains chauds pendraient des branches d’arbres sauvages ; les lions, les panthères noires et les ours polaires se frotteraient, dociles, contre les jambes des hommes et mangeraient dans leurs mains ; l’eau cristalline et le miel odorant jailliraient çà et là du sol généreux. Les serpents et d’autres reptiles admis en Éden ne sauraient parler qu’à voix basse.
Il est fort agréable d’être un dieu, ne fût-ce qu’un instant, mais le premier chiffre affiché par l’horloge dissipe mon impression de suprématie. Alors, faute de pouvoir créer un Paradis païen sur la terre renouvelée, je prends mon stylo pour en tracer un sur une humble feuille de papier.
Il n’y aurait pas d’esclaves dans ma création, ni de faux amis, ni d’enfants affamés. L’usurier, le médecin et le prêtre y perdraient leur prestige. Bien des professeurs se trouveraient, eux aussi, sans emploi : les bonnes choses seraient enseignées par la nature même, et les mauvaises choses n’auraient pas besoin d’être apprises. L’idéologie se changerait en compréhension, les lois sortiraient de scène, et la naïveté deviendrait l’unique force motrice de la société. Du reste, la société proprement dite, soit un mécanisme programmé pour l’oppression, cesserait d’exister. Les notions de race, d’ethnie et de statut social s’estomperaient. Au lieu de la guerre, les humains feraient l’amour à toute heure de leur vie et de toutes les façons possibles, comme dans cette vidéo de Kylie Minogue où des centaines de corps mi-nus forment une immense Babel amoureuse, et personne ne les accuserait de débauche, puisque l’hypocrisie serait également hors d’usage. Des pains chauds pendraient des branches d’arbres sauvages ; les lions, les panthères noires et les ours polaires se frotteraient, dociles, contre les jambes des hommes et mangeraient dans leurs mains ; l’eau cristalline et le miel odorant jailliraient çà et là du sol généreux. Les serpents et d’autres reptiles admis en Éden ne sauraient parler qu’à voix basse.
Il est fort agréable d’être un dieu, ne fût-ce qu’un instant, mais le premier chiffre affiché par l’horloge dissipe mon impression de suprématie. Alors, faute de pouvoir créer un Paradis païen sur la terre renouvelée, je prends mon stylo pour en tracer un sur une humble feuille de papier.
Quand je vois le premier rayon du soleil...Quand je vois le premier rayon du soleil
filtrer à travers les persiennes desserrées et frôler la table de nuit et le lit aux draps tout froissés, et la peau basanée de ma femme qui ressort de la salle de bains, essuyant ses cheveux emmêlés avec une serviette orange, je comprends que la vie telle qu’elle est, magnifiquement simple et pleine de lumière, n’aura pas de fin. Cette pensée extatique doit enflammer mon regard, car, l’ayant aperçu se fixer sur son ventre soyeux, ma femme rit : – On dirait que tu ne m’as jamais vue ! Je n’ai rien à lui dire, tant ce rire bon enfant me laisse excité : en réponse, je la prends dans mes bras matinaux... Et sa nudité tiède et fraîche est la même qu’au moment de notre première étreinte, et le premier rayon du soleil, notre montre-réveil, est le même qu’il y a une éternité, et les grains de poussière qui dansent, dorés, dans sa tendre clarté sont les mêmes qu’au premier matin de la Création. |
Je ne savais comment était l’amour...Je ne savais comment était l’amour
avant de te connaître. Je vivais étreinte par étreinte, jour par jour, comme si je n’allais mourir jamais. Les femmes qui profitaient, tour à tour, de ma virilité, je consommais leurs chairs et, quand je leur faisais la cour, c’était pour occulter mon but mauvais. Je t’ai connue, et tout s’est transformé subitement : j’ai entrevu la mort veiller sur mon destin... Et depuis lors je sais que l’être aimé peut déborder le moule de son corps et devenir divin. |
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